Les Rendez-vous de l'Epargne de BPCE L'Observatoire – Quels effets de l’incertitude et de la crise budgétaire sur les placements des Français ?
Par José Bardaji, directeur Études et Prospective du Groupe BPCE
Eric Buffandeau, directeur adjoint des Études et Prospective du Groupe BPCE
et Marion Stephan, responsable des études socio-économiques du Groupe BPCE
I. Une nouvelle configuration des placements financiers
Fin 2024, le patrimoine financier des ménages français s’élève à 6 926 milliards d’euros, soit l’équivalent de 3,7 années de revenu. Il se décompose globalement en trois principaux tiers : les dépôts (29 %), les titres (30 %) et l’assurance (32 %). Il est alimenté par trois composantes :
l’épargne financière, correspondant au revenu non dépensé. Depuis 2021, elle s’élève en moyenne à 7,8 % du revenu, véritable moteur des placements sur cette période ;
l’endettement. Après une forte dynamique sur la période 1995-2020 (passage de 55 % à 104 % du revenu), il a reculé du fait de la hausse des taux d’intérêt (93 % à fin juin 2025) ;
la valorisation. Au-delà des versements, celle-ci contribue directement à l’accroissement du patrimoine financier, qu’elle soit portée par des obligations ou par des actions.
S’agissant des versements, soit les deux premières composantes signalées supra, la conjoncture de l’épargne des ménages est caractérisée depuis le début de 2025 par trois faits saillants, qui traduisent un changement d’orientation des placements financiers.
Premier fait saillant : les placements financiers (hors titres et hors intérêts) sont en hausse. Cette hausse provient en partie de l’épargne des ménages, dont le taux a atteint un niveau record depuis 45 ans (hors période Covid) à 18,9 % au 2e trimestre 2025. D’après la dernière enquête mensuelle de conjoncture auprès des ménages de l’INSEE (septembre 2025), l’opportunité d’épargner demeure à des niveaux historiques sur fond d’une capacité d’épargne qui se renforce. Une explication tiendrait à leur préoccupation paradoxale vis-à-vis de l’évolution des prix et du chômage. Paradoxale car l’inflation reste basse (1,2 % en septembre) et la hausse du chômage est contenue (taux qui reste bas, à 7,5 % au 2e trimestre). C’est ainsi que les placements financiers remontent, également par l’arrêt du désendettement des ménages depuis le début de cette année.
Deuxième fait saillant : sur le stock, l’année 2025 retrouve une situation plus normale d’arbitrages entre les placements. La baisse de l’inflation suivie par la baisse des taux de la BCE a induit un recul des taux réglementés et des rendements des comptes à terme. En conséquence, les arbitrages entre les placements financiers se sont sensiblement amenuisés et reprennent une forme plus habituelle.
Troisième fait saillant : sur le flux, la structure des placements a connu une modification sensible. En comparant l’évolution observée des excédents (différence entre les versements et les retraits sur chaque support de janvier à juillet) avec la tendance antérieure qui se profilait hors effet de la baisse du taux du livret A, il apparaît que le recul des taux réglementés au 1er février 2025 a non seulement pénalisé les livrets A (−8 Md€) mais également les comptes à terme (−12 Md€), au bénéfice de l’assurance vie (+10 Md€) et des dépôts à vue (+14 Md€).
La nouvelle configuration des placements financiers semble ainsi partie pour durer. La collecte cumulée de janvier à août 2025 (hors titres) est d’abord beaucoup plus forte : +44,2 Md€ en 2025 après +31,9 Md€ en 2024, mais inférieure à la moyenne 2018-2019 (+64,3 Md€). Elle est surtout tirée par l’assurance vie (+35,3 Md€, dont +29,6 Md€ en unités de compte). Du fait de la baisse des taux réglementés, la contribution des livrets réglementés − Livret A, LDDS et LEP − est beaucoup plus faible (+5,4 Md€). Les comptes à terme refluent nettement (−6,5 Md€). Les dépôts à vue (+17,0 Md€) et, dans une moindre mesure, les livrets B-CSL (+11,8 Md€) rebondissent. L’épargne logement recule toujours (−17,8 Md€), pénalisée depuis 2018 par la fiscalisation et la faiblesse du rendement des PEL.
II. Atterrissage 2025 : du déjà-vu ou un retour vers le futur ?
En 2025, la réorientation des placements financiers se poursuit, phénomène déjà signalé lors de la précédente conférence de Presse Épargne du 17 avril dernier. Elle profite à l’assurance vie et aux dépôts à vue, au détriment des comptes à terme et, dans une moindre mesure, des livrets réglementés. Cette réorientation est principalement liée à la repentification de la courbe des taux : l’épargne de moyen-long terme offre désormais des rendements supérieurs à l’épargne de court terme.
De fait, les arbitrages sur flux et sur stocks ont été largement orientés par l’impact des baisses des taux réglementés. C’est ainsi que la différence de trajectoire entre les sept derniers mois de 2024 et les sept premiers mois de 2025 s’explique en grande partie par la diminution, le 1er février dernier, des taux du livret A (de 3,0 % à 2,4 %) et du LEP (de 4,0 % à 3,5 %). La modélisation économétrique permet d’en quantifier les effets. Les Français ne disent pas autre chose ! 7 détenteurs d’un livret A sur 10 signalent que la diminution du taux du livret A à 1,7 % au 1er août 2025 occasionnera une baisse des versements voire des retraits.
En parallèle, la préférence pour l’assurance vie n’a jamais été aussi élevée, avec un renforcement de son image sur toutes les dimensions au cours des six derniers mois, en particulier en termes d’intérêt sur le long terme (+14 points), de fiabilité/sécurité (+8 points) et de confiance (+7 points).
S’agissant des comptes à terme, 11 % des Français déclarent en avoir un qui est arrivé à échéance au cours du 1er semestre. À cette occasion, le placement principalement investi est le livret A (35 %), devant l’assurance vie (14 % en euros et 8 % en UC) puis les autres livrets défiscalisés (20 %), le compte courant (19 %) et l’épargne logement (18 %). Les cadres et professions intermédiaires se tournent davantage vers des placements moins liquides (par exemple l’assurance vie).
D’ici la fin de l’année 2025, il est probable d’assister au même phénomène d’arbitrages massifs entre placements financiers. De plus, les impacts sont beaucoup plus élevés à la baisse qu’à la hausse du taux du livret A, surtout en deçà du seuil psychologique de 2 %, celui-ci renvoyant probablement au niveau cible d’inflation des banquiers centraux. Au global, malgré le ralentissement du pouvoir d’achat des Français (+0,8 % en 2025, après +2,5 % en 2024 selon l’INSEE), les montants des placements financiers des ménages seraient en hausse, à hauteur de 46 Md€ (après 36 Md€ en 2024). La structure de collecte évoluerait fortement, avec notamment l’envolée de l’assurance-vie, à hauteur de 50 Md€ dont +10 Md€ en fonds euros, le net rebond des dépôts à vue mais également des comptes sur livrets et la chute des comptes à terme.
III. Incertitude et crise budgétaire : quels effets ?
Sans surprise, les Français ont pour préoccupations financières majeures le départ à la retraite et l’héritage / la transmission. Ils sont averses au risque (seuls 6 % acceptent une plus grande part de risque) et privilégient la liquidité (61 % préfèrent des placements totalement disponibles mais offrant une rémunération plus faible).
Dans le contexte actuel, 3 Français sur 4 sont inquiets par la situation politique et budgétaire de la France. Ce niveau d’inquiétude augmente dans le temps, en particulier depuis le début de cette année. Il progresse aussi selon l’âge des Français et touche 9 Français âgés de 65 ans et plus sur 10. Cette inquiétude se transmet sur la situation patrimoniale pour près de la moitié des Français, en particulier pour les artisans et chefs d’entreprise mais également pour les cadres et professions intermédiaires.
L’impact de cette inquiétude politique et budgétaire sur l’épargne des Français peut être modélisé. En effet, à travers une équation économétrique annuelle, estimée sur la période 1980-2023, le taux d’épargne dépendrait non seulement de la progression du pouvoir d’achat (+), de l’inflation (+), de la différence entre l’OAT 10 ans et le taux du livret A (−), mais également positivement du déficit public annuel de la France (+). Cette dernière variable simulerait une forme d’effet Ricardo-Barro : quand les ménages anticipent la probabilité d'une hausse d'impôts futurs en cas de dérive du déficit public, les plus aisés ont tendance à augmenter alors leur épargne pour s'y préparer. D’après cette modélisation, l’accentuation du déficit public d’un point supplémentaire renforcerait le taux d’épargne de 0,32 point la première année et de 0,55 point au bout de 3 ans. La dérive du déficit public depuis deux ans serait ainsi à l’origine d’une hausse du taux d’épargne de 1,2 point en 2025. Pour autant, la modélisation sous-estimerait le niveau de ce taux d’épargne de plus de deux points sur l’année 2025. Trois explications peuvent être avancées : la première correspond à d’éventuels effets de non-linéarités qui viendraient accroître l’effet précédent ; la deuxième viendrait attribuer une partie de cette sous-estimation du taux d’épargne de 2025 à l’incertitude politique actuelle ; la troisième proviendrait d’un impact plus sensible sur l’épargne des Français âgés de 65 ans et plus.
Outre cet effet sur le taux d’épargne, la crise politique et budgétaire a également un impact sur les arbitrages des Français, au profit des placements les moins risqués. À ce titre, le PEA et l’assurance vie constituent deux illustrations. L’encours du PEA s’établit à 119 milliards d’euros à fin juin 2025, niveau quasi-inchangé par rapport au précédent pic de 2006 alors que sur cette période le SBF250 a progressé de 45 %. Or, cette crise politique et budgétaire a des impacts sur le marché boursier en France. Depuis le 7 juin 2024, le CAC40 recule de 4 % sur 15 mois tandis que le DAX progresse de 27 %, le MIB de 20 % et le Dow Jones de 17 %. S’agissant de l’assurance vie, le placement « préféré » des Français se transforme vers un mix fonds euros – unité de compte plus équilibré depuis une dizaine d’années, en raison de la bonne tenue des marchés boursiers, au succès des PER, à un environnement de taux bas et aussi à une offre qui promeut davantage les unités de compte. Ce déplacement connait un coup de frein depuis plus d’un an. Après avoir atteint un plus haut historique à 40 % en 2022-2023, cette part a été ramenée à 38 % en 2024 et plafonne à ce niveau depuis lors. Il pourrait être légèrement orienté à la baisse sur la fin de cette année.
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BPCE L’Observatoire recouvre l’ensemble des publications et des études réalisées par les économistes et les experts métiers du Groupe BPCE sur les sujets d’économie et de société, en lien avec nos activités de banquier et d’assureur. Tout au long de l’année, de nombreuses thématiques sont traitées : immobilier, épargne, entreprise, assurance, paiement, santé, sport, etc.
Expert
José Bardaji
Directeur Etudes et Prospective du Groupe BPCE
José Bardaji débute sa carrière en 1998 en tant que chargé d’études au département des politiques d’emploi de la Dares (Ministère du Travail). En 2001, il intèg
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Marine Robin
Attachée de presse Banque Populaire - Caisse d'Epargne
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